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Les divagations d'une orchidoclaste

Bienvenue dans le monde de divagations, de rêveries, de râleries sans filtre ni retouche d'une maman parisienne infirmière expatriée en Bretagne et désormais en PACA. Tu verras c'est pas mal, enfin j'crois, tu m'diras.

La salle d'attente...

Publié le 25 Février 2012 par Elodivague in Mes écrits ..., Nouvelle, Elodivague, Divagations, Reflexions

Vendredi matin, 10h10, Laure arrive au cabinet de son médecin traitant. Elle a rendez vous à 10h, heure déjà dépassée mais si il y a bien un endroit où ne s'applique pas cette phrase « avant l'heure c'est pas l'heure, et après l'heure c'est plus l'heure », c'est bien chez le médecin (nous n'oublions pas les garagistes, les quais SNCF, le coiffeur...).

Après s'être « enregistrée » à l'accueil elle pénètre dans la salle d'attente blanche, froide, où les sièges sont en similis bois. Elle salue sans attendre de réponse. Sur 15 personnes présentes, 10 la regardent, 2 ne lèvent même pas leur nez, 1 répondra à son bonjour et elle acceptera les gazouillis du bébé de la dame en rouge comme salutation.

Elle reste surprise, balaye la salle d'un regard, rapide, bref, et choisi une place. Proche de la fenêtre tant qu'à faire. Bon en face des WC aussi mais personne n'y va jamais, l'emplacement, en pleine salle d'attente, la toute petite pièce ne favorise pas le petit pipi tranquille... A défaut d'être courtois les gens sont pudiques.

Béquille entre les jambes, elle regarde dehors, jette un coup d'œil à son téléphone, il est en silencieux, tout est bon. En face d'elle, la dame en rouge et son compagnon se tuent à faire rire le petit garçon qui gazouille, seul reflet joyeux de cette salle triste. Elle sourit à ses rires. « Le docteur il va faire pique, pique, pique... Ça monte, ça monte », pauvre p'tit chat, s'il savait qu'en fait il a tout simplement gagné le droit de se prendre une aiguille dont le diamètre dépasse celui d'un de ses cheveux dans le bras et que dans quelques minutes ça va être beaucoup moins rigolo, peut être partirait il...

Laure aime les salles d'attente tout en les détestant car, elle aime observer ses semblables. Elle se tapie dans son écharpe, seuls ses yeux restent vifs. A sa gauche, la jeune souffle tout ce qu'elle sait. Elle l'imagine alors, avec ses cheveux teints, sa mèche rebelle, ses piercings en chef d'entreprise d'une grande agence de mannequinat. Elle ne lui posera pas la question, l'impatience et le faciès de sa voisine n'étant pas favorables à tout mouvement communiquant.

Un peu plus loin, une petite mamy est là, ses cabas entre les jambes, sac à main cloué à l'épaule, cheveux gris parfaitement tirés en arrière. Sa robe bleue marque sa taille, des petites chaussures brillantes ornent son 35,5. Comme elle est coquète. Que la vieillesse est belle quand elle est si bien assumée.

Soudain, le médecin, Dieu vivant du cabinet, apparaît dans la salle d'attente, en pleine lumière, il appelle un nom, un prénom. Les yeux se baissent aussitôt s'il ne s'agit pas d'eux. C'est la petite dame qui se lève, sourire aux lèvres, mais lèvres néanmoins pincées, l'arthrose en cette période humide laisse les séquelles d'une vie, l'ostéoporose, fléau de la femme ne l'a pas épargné non plus. Mais sans aide aucune, elle se lève et marche, doucement, par saccades. Le médecin la prendra alors pas le bras. Une de ses plus fidèles patientes. Elle la vue arriver, évoluer, lui a confié ses enfants et maintenant lui confie sa vieillesse. Laure ne peut alors pas s'empêcher de penser à cette phrase de Brel « Les vieux ne bougent plus, leurs gestes ont trop de rides, leur monde est trop petit, du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil, et puis du lit au lit... ».

Elle sait alors que le rendez vous va durer. La solitude, fléau de l'humanité, fléau de notre égoïsme rend aussi l'attente chez le médecin plus longue. Qui, si ce n'est son médecin va l'écouter aujourd'hui? Qui va panser les blessures de son passé? Qui va l'écouter pleurer son amour perdu? Ses enfants absents? Ses enfants qui ne l'appelleront pas, ses enfants qui vivent aussi si loin et si proches. On a presque l'impression que des années lumières les séparent ces trois générations. Mais qu'ils la pleureront leur petite vieille. Puis ils se tueront à coups de téléphones, de courriers pour la maison, les bijoux, les meubles, l'horloge, les instruments.

Les patients patientent dans leur salle d'attente sur leurs sièges verts, froids et glissants. D'un seul coup, une quinte de toux vient rompre le silence ambiant. C'est l'adolescente en puissance accompagnée de sa mère, qui se tue à remettre les cheveux de sa fille derrière ses oreilles en vint. Ah les adolescents... Laure sait que l'enfant pas encore adulte est ingrat. Le bébé ne rêve que de dire « non », l'enfant veut tuer le parent de sexe opposé (merci Freud et Oedipe...). L'adolescent, lui, « déteste »ses parents qui ne « comprennent rien » oubliant qu'avant d'être parents eux aussi en avaient fait des « conneries, alors tu ne me la feras pas!!! »et « n'oublie pas ma chérie que je suis de la génération 68 »... Se plongeant alors dans un profond mutisme, l'ado pleurera ou ne dira plus rien jusqu'à la prochaine sortie, jusqu'au prochain ciné... Laure ne pourra s'empêcher de sourire, se remémorant, amère, cette période. Que de temps perdu avec ses parents. C'est ça qu'elle lui dirait à notre ado ici présente « bonjour !!! Ouvre les yeux, tu perds un temps fou à te prélasser dans tes pensées négatives envers ta famille. Voit comme elle est précieuse au contraire ». Bref, Laure ne dira rien, on n'a déjà pas répondu à son bonjour, alors à quoi bon...

Un homme d'une quarantaine d'année aux joues teintées par le 40° ambiant, jette un coup d'oeil à sa montre. Sa cage thoracique se soulève mais aucun son n'en sortira, n'est ce pas ce que l'on pourrait appeler « souffler en silence ». Il finira par se lever. Il redresse son col, enfile sa veste, et sort sur la rue passante pour s'en griller une. Et c'est bien sûr à ce moment précis que le médecin réapparaît et l'appelle lui. Laure ne voyant personne se lever pour prévenir son collègue de galère cogne au carreau de la vitre et lui fait signe que c'est à son tour. Il jette au loin sa clope encore fumante. Et entre en trombe dans la salle. Le médecin lui jette alors un regard évocateur et lui balancera discrètement mais assez fort tout de même pour que toute l'assemblée l'entende « toujours pas arrêté Monsieur Rémy... ».

Laure regarde alors au loin, par cette petite fenêtre qui n'a pas vue un chiffon humide depuis quelque temps. Elle arrive cependant à voir un gros chat. Qu'il est beau ce chat couleur bitume, écrasé sur le parvis il guette une proie somme toute difficile à atteindre... Un tout petit bouchon rouge sur lequel il saute quelques secondes plus tard. Il le glisse entre ses pattes, le bouchon saute mais que c'est doux de voir de la vie. Elle se rêve Chat, elle aussi elle jouerait. Elle aussi elle serait joyeuse. Comme Bitume, elle s'en contre ficherait du regard des autres. L'humain a peut être tout simplement oublié cela. Ce que les animaux des rues savent, c'est qu'il faut profiter de la vie, que demain on se fera peut être faucher, que la maladie tapera peut être à notre porte.

Laure replonge alors dans sa bulle et pense, pense à cette salle d'attente où tant de personne se croisent, et où personne ne répond plus aux salutations d'autrui. Ni aux bonjours, ni aux Au revoir, ni aux Bonne journée.

Pâle reflet de la société qu'une salle d'attente. Pâle reflet de l'individualisme, de la tristesse ambiante, du gris terne de la vie de chacun. De la crise qui nous a tous frappé. Que c'est triste une salle d'attente. Que le monde est triste. Même la secrétaire est triste. Même le médecin est aux couleurs de sa salle d'attente. Pas un brin de musique, et sa marraine la fée ne viendra pas s’il y a tant d'hostilité.

Pourtant, elle aimerait Laure, transformer tout ce beau monde. L'ado en lapin et sa mère en poule couveuse. La jeune chef d'entreprise en cheval libre de tout mouvement et de son temps, galopant toute la journée. Le petit papy en tortue, son visage si serein rappelant la Zénitude et Plénitude manquantes. Et elle, elle en chat qui ne mangera pas le bébé mutait en souris, sa mère en hamster et son père en chien. Le médecin sera un hibou et sa secrétaire une vieille chouette à lunettes. Quel joyeux bordel se dit-elle...

Car elle n'en peut plus Laure de voir une salle d'attente où la vie meurt...

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